Du fond des Âges (Le Halo des Ombres – Cycle 2)
- nicolasverdier
- il y a 2 jours
- 3 min de lecture

Avec Du fond des Âges, Viviane et Céline de Clairval offrent une suite magistrale, plus sombre et plus ample, qui dépasse les attentes laissées par L’Académie de Santhoryne. Ce deuxième tome, âpre et vertigineux, confirme la maturité narrative du Halo des Ombres : l’univers s’approfondit, les enjeux s’intensifient, et Lùthen – déjà marqué par la perte et le doute – se trouve projeté dans un monde plus violent, plus instable, où chaque pas ressemble à une déflagration intérieure.
Dès les premières pages, le lecteur est happé par la brutalité du réel. La chute de Lùthen, blessé par la lance d’un Nécrolith, puis son réveil dans un Baolgar écrasé de soleil, donne le ton : fini l’introspection douloureuse du premier tome, place à la survie pure, aux dilemmes moraux, à la fuite en avant. La magie elle-même se dérègle, piégée par le sang des Mordracs – ces êtres capables d’annihiler tout pouvoir par leur seule présence. L’un d’eux, Adraxius, figure minérale et terrifiante, incarne à lui seul la sauvagerie d’un monde qui ne laisse plus aucun refuge.
Ce qui frappe, c’est la manière dont les autrices transforment l’odyssée initiatique en véritable descente dans les strates cachées d’Edenfall. Le roman devient plus politique, plus géopolitique même : lois anti-magie, Commandeur tyrannique, menace du Cénacle, peuples méfiants et territoires instables… Chaque région traversée révèle un fragment du conflit qui se prépare depuis « le fond des âges ». Là où le premier tome suivait une ligne intime, celui-ci ouvre les portes d’un continent vacillant, où l’équilibre ancien menace de se briser sous le retour des Ténèbres premières.
Lùthen, lui, n’a plus rien du garçon désemparé de Santhoryne. Il reste fragile, humain, profondément sensible – mais cette fois, sa peur devient moteur. Son stigmate de nécrojade, laissé par la lance, n’est pas qu’une blessure : c’est un symbole. Celui de la transformation, du traumatisme, mais aussi d’un héritage magique qui tourne peu à peu à la malédiction. On retrouve cette écriture dense, sensorielle, quasi organique, qui faisait déjà la force du tome 1 : chaque douleur, chaque hésitation, chaque souffle coupé semble transparaître sous la plume du duo de Clairval.
À ses côtés, les autres membres du groupe gagnent aussi en profondeur : Aëslin, silencieux et implacable ; Zaell, plus vulnérable qu’elle ne veut l’admettre ; Aëlya, brisée mais courageuse ; Elibouban, toujours déchiré entre humour et instinct de survie. Et puis il y a Talianthe, ce compagnon improbable, errant comique et tragique à la fois, qui apporte un souffle d’humanité dans un récit saturé de violence, sans jamais briser la tension.
La force du roman réside dans cette alternance constante entre chaos extérieur et bouleversements intimes. Le rythme est haletant, presque cinématographique : enlèvements, évasions, prisons sordides, trahisons, archives secrètes, voyages clandestins… Pourtant, jamais les autrices ne cèdent à la facilité. Tout est cohérent, tissé avec minutie, nourri d’une mythologie qui s’étend désormais bien au-delà de la carte d’Edenfall. Les illustrations et les fragments de lore – discrets mais puissants – renforcent cette impression d’ancienneté et de profondeur.
Du fond des Âges n’est pas une simple suite : c’est un pivot. Un point de rupture. Le moment où les ombres prennent forme, où les héros comprennent que leur destin ne leur appartient plus tout à fait. Le récit gagne en ampleur épique sans perdre la fibre émotionnelle qui faisait la beauté du premier cycle.
En refermant ce tome, quelque chose persiste : la sensation d’avoir avancé d’un pas dans la nuit, mais d’avoir laissé une part de lumière derrière soi. Lùthen est en train de devenir celui qu’il n’aurait jamais imaginé être. Et nous, lecteurs, nous suivons sa métamorphose avec une fascination mêlée d’appréhension.
Car une certitude demeure : ce qui vient ensuite dépassera tout ce qu’Edenfall croyait savoir sur lui-même.
Commentaires